Paroles de lauréats : Maud Bailly
5 / 28.04.2020

Paroles de lauréats : Maud Bailly

Face à la crise, chaque jour, les lauréats et alumni Choiseul, mais aussi plusieurs de nos amis et partenaires,  réagissent. Une série d’échanges avec plusieurs d’entre eux  qui nous font part de leur vécu, nous exposent leurs stratégies de rebond mais aussi nous livrent leur vision du « jour d’après ».

Aujourd’hui avec Maud Bailly, directrice du digital du groupe Accor. Diplômée de l’ENA, elle débute sa carrière à l’Inspection Générale des finances avant de rejoindre la SCNF, puis devient chef du pôle économique auprès du Premier ministre. Maud Bailly est membre du Conseil national du numérique et alumni du Choiseul 100.

Aujourd’hui, Accor poursuit son engagement dans l’accompagnement du déconfinement : le Groupe travaille en France sur un hôtel pilote avec l’APHP à Paris permettant d’isoler les patients légers, sur le modèle de ce qui a déjà été mis en place en Chine et en Espagne.

La crise sanitaire mondiale que nous subissons aujourd’hui déstabilise fortement le secteur de l’hôtellerie et de l’hospitalité. Comment êtes-vous impactés ? Face à cette crise inédite, comment avez-vous adapté votre organisation ?

La crise sanitaire que nous traversons est inédite pour le secteur de l’hôtellerie, qu’elle impacte avec une violence sans précédent. Elle touche de fait plusieurs conditions nécessaires au bon fonctionnement de notre industrie, à savoir la libre circulation des personnes, le voyage d’affaires, et les activités de loisir : or ces trois éléments sont aujourd’hui quasiment réduits à néant par une crise ayant entraîné, et ce à une échelle mondiale, la fermeture des frontières, le confinement des personnes et la mise à l’arrêt d’une très grande majorité des entreprises. Face au Coronavirus, nous avons été contraints de fermer la grande majorité de nos hôtels, avec près de deux tiers déjà fermés début avril. Nous avons aussi dû adapter notre organisation en conséquence, en mettant en inactivité 75% de nos 300,000 collaborateurs, et en développant naturellement tous les moyens possibles de travail à distance. Nous avons aussi naturellement revu nos missions stratégiques en cours, car l’ampleur du choc exige de totalement revoir notre feuille de route pour 2020… et sans doute au-delà.


Plus généralement, de quelle manière votre entreprise s’est-elle mobilisée pour lutter contre l’épidémie ?

Le cœur de l’hospitalité, c’est avant tout l’accueil et le souci des autres. Sous l’impulsion de Sébastien Bazin, notre CEO, et en plein accord avec nos propriétaires dans cet élan solidaire, le Groupe s’est rapidement engagé dans la lutte contre ce virus en mettant nos hôtels à la disposition des personnels soignants, des personnes sans-abris ou encore des femmes victimes de violences conjugales. Et ce dans une démarche de solidarité observée partout dans le monde, dans toutes les régions où Accor est présent.

En France, par exemple, le Groupe a annoncé en mars la création de la plateforme CEDA – Coronavirus Emergency Desk Accor, afin de centraliser les besoins d’hébergement et de répondre au mieux aux situations d’urgence, en lien notamment avec l’AP-HP, le Samu social, les autorités publiques et plusieurs associations. Le Conseil d’administration a également décidé de renoncer au dividende et de réallouer 25% de son montant, soit 70 millions d’euros, au soutien du personnel en détresse, que ce soit des collaborateurs malades exposés à d’importants frais de santé comme des petits propriétaires ou partenaires stratégiques durement impactés par la crise.

Aujourd’hui, Accor poursuit son engagement dans l’accompagnement du déconfinement : le Groupe travaille en France sur un hôtel pilote avec l’APHP à Paris permettant d’isoler les patients légers, sur le modèle de ce qui a déjà été mis en place en Chine et en Espagne. Nous travaillons aussi à la mise en place de nouveaux outils pour accompagner la reprise économique : ainsi, le Groupe a récemment annoncé le lancement, en Europe, d’un label sanitaire avec le Bureau Veritas pour certifier le niveau d’hygiène de nos espaces, afin de rassurer nos clients, collaborateurs et partenaires. Ces actions, qui s’inscrivent pleinement dans la logique de « responsabilité sociétale » des grandes entreprises, font aussi la fierté d’appartenir à Accor, en ligne avec ses valeurs de solidarité et d’engagement, même au cœur de la crise.


Au-delà d’Accor, nombre d’entreprises ont démontré une très grande solidarité. Quels sont les deux / trois exemples qui vous ont le plus touché ?

Il me semble essentiel que les entreprises se mobilisent dans cette crise. Il n’y a plus de frontières public / privé face à l’urgence de gestion d’un tel choc, systémique, mondial, et dont nous pressentons bien que les conséquences seront non seulement sanitaires, économiques, mais aussi sociétales. Je retiens, en termes de mobilisation, l’engagement de Danone, LVMH, Yves Rocher, Pernod-Ricard dans la production de gels hydroalcooliques, ou encore de Petit Bateau dans la production de masques. J’ai également été très touchée par la mobilisation exemplaire de Décathlon, qui a décidé de suspendre la vente et d’offrir 30,000 masques de snorkeling Easybreath aux hôpitaux pour les aider dans l’équipement de leurs infrastructures de réanimation.

Enfin, un coup de chapeau spécial à France Télévision, avec le programme LUMNI, où France 4, 2 et 5 se mobilisent chaque semaine pour porter la mission de « Nation apprenante », et contribuer ainsi à la continuité pédagogique pour tous les enfants confinés. Car le confinement peut aussi faire ressortir des inégalités dans la manière dont il touche la population. Et, en tant que citoyenne et maman, j’ai été très touchée par la réaction de France TV.


Comment vous projetez-vous dans l’après crise ? Votre business model sera-t-il durablement transformé ? Voyez-vous dans cette crise, une fois qu’elle sera terminée, des opportunités nouvelles pour un groupe comme le votre ?

Il est évidemment trop tôt pour se prononcer, mais ce qui est sûr, c’est que nous ne serons plus les mêmes au sortir d’une telle crise. Nous devons, dès à présent, commencer à en tirer des enseignements quant à notre ambition et nos manières de travailler. Notre business plan sera forcément adapté en fonction de la durée du choc économique et financier, dans un contexte de crise dont la fin demeure encore incertaine. Mais au-delà de cela, cette crise peut en effet nous amener à porter un autre regard sur notre activité, à développer une résilience porteuse d’opportunités pour se réinventer. Mais là encore, je pense que ces réflexions, indispensables, sont encore prématurées.


Selon vous, quels changements majeurs caractériseront le « monde d’après » ?

Je demeure prudente sur ce que je lis un peu partout dans la presse, sur une inévitable prise de conscience de nos sociétés quant à nos enjeux climatiques, de consommation, d’équilibres de production, ou encore de protection et de solidarité. Bien qu’étant une profonde optimiste, je ne peux m’empêcher de me dire que le risque d’amnésie, c’est-à-dire de reprise frénétique de nos modes de vie antérieurs, est réel. Et que nous devrons tous, collectivement, veiller à nous souvenir de ce que nous avons vécu lors de la crise du COVID pour en ressortir avec de véritables changements, durables et structurels. En fonction des pays concernés, les questions ne seront potentiellement pas les mêmes. Dans le cas de la France, il y aura une nécessaire réflexion à engager sur le renforcement des moyens de l’Hôpital, la revalorisation du personnel soignant comme de tous ceux qui auront été en première ligne dans la lutte contre le COVID, sur des outils nouveaux à développer à grande échelle en matière d’enseignement à distance, ou encore sur la capacité de notre société à mieux anticiper et se protéger contre le risque de catastrophe sanitaire. Nous allons ouvrir, dans ce « monde d’après », un nouveau chapitre pour notre projet de société, où citoyens, autorités publiques comme entreprises privées auront un rôle important à jouer.


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