Paroles de lauréats : Ismaël Barmou
6 / 29.04.2020

Paroles de lauréats : Ismaël Barmou

Face à la crise, chaque jour, les lauréats et alumni Choiseul, mais aussi plusieurs de nos amis et partenaires, réagissent. Une série d’échanges avec plusieurs d’entre eux qui nous font part de leur vécu, nous exposent leurs stratégies de rebond mais aussi nous livrent leur vision du « jour d’après ».

Aujourd’hui avec Ismaël Barmou, Directeur général de la Société de Transformation Alimentaire (STA) qui lutte contre la malnutrition au Niger. Plusieurs dizaines de milliers d’enfants nigériens bénéficient chaque année des pâtes d’arachide produites par la STA. Ismaël Barmou est lauréat du Choiseul 100 Africa.

J’espère que les pays Africains se concentrerons davantage à la mise en place d’infrastructures de santé et d’éducation qui pourront amortir les prochaines crises car il est clair qu’il y en aura encore. Nous n’avons pas su tirer les conséquences de la crise Ebola.

Pouvez-vous nous dresser un état des lieux de la situation au Niger ?

Comme partout dans le monde, le Niger est fortement impacté par la crise du Covid-19 ; le Niger sans doute davantage que beaucoup d’autres pays du fait de l’aspect sécuritaire complexe et de l’enclavement du pays.

D’un point de vue social, la pandémie nous amène à revoir nos façons de vivre en société. Il est en effet commun en Afrique d’avoir une vie sociale riche voire contraignante car tout évènement est une occasion de se retrouver en famille et entre amis. Cependant, une grande majorité des populations au Niger ont du mal à croire en l’existence de la pandémie et ce pour divers facteurs : communication maladroite des autorités, rumeurs etc.

D’un point de vue économique, l’approvisionnement ralenti des produits de grande consommation crée une inflation des produits de désinfection (gels, masques, etc.) mais aussi sur les produits alimentaires. Le pays, n’ayant presque plus d’industrie, se retrouve dans l’incapacité de produire en temps et en heure les produits de première nécessité.

Enfin, dans bon nombre de pays de la sous-région, l’État a mis en place des mécanismes (fonds d’aide, allégements fiscaux etc.) ce qui n’est malheureusement pas le cas au Niger. Le pays peine à mobiliser des fonds pour faire face à l’épidémie, à plus forte raison pour aider le secteur privé.

Au contraire, si l’État a fait certains aménagements pour le secteur informel (commerce), nous sommes toujours en pourparlers pour reporter les échéances fiscales de 2 ou 3 mois des industries, sous peine de fermeture de nombreuses sociétés nigériennes.


Êtes-vous optimiste pour la suite ? 

Le Niger va malheureusement connaître un période de troubles. Déjà des groupes commencent à perturber la quiétude des quartiers périphériques de la capitale pour s’opposer aux interdictions (couvre-feu et fermetures des villes). Les écoles et les universités étant fermées, beaucoup de jeunes se retrouvent dans les rues, ce qui n’aide pas à l’apaisement.

D’un point de vue politique, il est clair que la gestion de la crise va avoir des impacts sur les élections qui doivent se tenir dans 8 mois.

La fermeture des frontières pendant plus de 30 jours est inédite et très problématique pour un pays déjà enclavé et qui ne produit quasiment aucun produit de première nécessité. Les ressources du pays proviennent de l’exportation de pétrole et d’uranium, dont les cours se sont écroulés.


Qu’en est-il au sein de votre entreprise, la Société de Transformation Alimentaire (STA) ?

Au niveau de mon groupe, nous avons mis en place des procédures pour continuer les activités avec une sécurité renforcée. Nous avons également mis en place des programmes de formation de notre personnel et mis à disposition des équipements et des consommables pour leur famille. Nous avons aussi tenu à apporter une aide financière et en matériel à l’État du Niger.

Nous avons certes beaucoup de demande en raison des programmes humanitaires mais les approvisionnements de matières premières sont tendus, ralentis, sans parler de l’inflation. Nous avons ainsi perdu 50% de chiffre d’affaires par rapport à l’année dernière : au lieu des 12 millions d’euros attendus, nous pensons atteindre 5 à 6 millions. Notre priorité a été de conserver les 137 emplois permanents et avons demandé à l’État de nous aider à maintenir les 300 emplois saisonniers générés chaque année par notre activité.

En tant que représentant des industries du Niger, j’ai contribué à la création d’un comité au sein de la Chambre de commerce pour discuter avec l’État avec des dispositions à mettre en place pour éviter les licenciements massifs des industries du Niger. Ces quelque 2.000 emplois directs et indirects représentent pour l’État manque à gagner potentiel de plus de 76 millions d’euros.


Dans ce contexte, comment voyez-vous l’évolution de l’Afrique de l’Ouest ? 

Il est à craindre que l’aide internationale tarde à venir parce que les pays du monde entier doivent gérer des crises. Les Nations Unies d’ailleurs prévoient une crise alimentaire qui pourrait impacter plus de 50 millions de personnes dans l’Afrique subsaharienne.

À cela s’ajoutent des élections présidentielles dans 5 ou 6 pays en Afrique de l’Ouest qui pourraient laisser craindre des instabilités politiques. Les liens entre la stabilité politique et l’économie ne sont plus à démontrer alors il est à craindre que les pays de l’Afrique de l’Ouest (les plus fragiles en tout cas) ne traversent des périodes difficiles.

Paradoxalement, la crise du Covid-19 nous démontre une fois de plus qu’il faut aller vers l’industrialisation de tous les pays. La globalisation des États Africains s’est faite sans stratégie cohérente, et à la veille de la mise en place de la Zone de Libre Échange il est plus qu’urgent de revoir les stratégies pays afin de prendre en compte le minimum vital.

J’espère que les pays Africains se concentrerons davantage à la mise en place d’infrastructures de santé et d’éducation qui pourront amortir les prochaines crises car il est clair qu’il y en aura encore. Nous n’avons pas su tirer les conséquences de la crise Ebola.

J’espère aussi, que les pays de l’Afrique de l’Ouest mettront en place des structures financières plus adaptées qui pourront proposer des produits qui répondront au besoin des entreprises en temps de crise et au-delà.

Le secteur privé joue aujourd’hui plus que jamais, un rôle dans nos économies, les États devraient saisir cette opportunité – c’est vrai aussi en Europe – pour en faire des partenaires de long terme.


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