Paroles de Lauréats : Isabelle Garcia
15 / 12.05.2020

Paroles de Lauréats : Isabelle Garcia

Face à la crise, chaque jour, les lauréats et alumni Choiseul, mais aussi plusieurs de nos amis et partenaires, réagissent. Une série d’échanges avec plusieurs d’entre eux qui nous font part de leur vécu, nous exposent leurs stratégies de rebond mais aussi nous livrent leur vision du « jour d’après ».

Aujourd’hui avec Isabelle Garcia, directrice de la réponse SNCF au premier appel d’offres ferroviaire en France. Diplômée de l’Ecole des Mines, elle a travaillé en Afrique du Sud et en Argentine avant d’intégrer la SNCF. Elle est aussi administratrice indépendante d’entreprises et lauréate du Choiseul 100 depuis 2019.

Redonner confiance dans les transports en commun est primordial !

La SNCF s’est fortement mobilisée dans la lutte contre l’épidémie ; pourriez-vous citer quelques exemples l’illustrant ?

Effectivement toutes les activités de la SNCF se sont mobilisées durant ce confinement. Notre contribution la plus médiatisée est bien entendu les TGV médicalisés qui ont permis de transporter plus de 200 malades. Cette opération « Chardon » initialement imaginée avec le SAMU en 2019 dans le but d’évacuer des blessés vers Paris si un attentat survenait à Metz, a finalement été mise en œuvre pour diminuer la pression sur le système sanitaire des régions les plus affectées. C’est une de plus grandes fiertés partagées par tous les femmes et les hommes cheminots que d’avoir pu mettre notre savoir-faire au service de ceux qui mettent le leur afin de sauver nos vies. Ce que je retiens aussi de cette opération est que souvent, les plans que l’on peut imaginer pour l’avenir ne se déroulent que rarement tels quels ; en revanche, la planification est un exercice qui nous aide à nous adapter vite et à développer notre résilience. Sans avoir travaillé cette organisation avec le SAMU auparavant, nous n’aurions pas pu la mettre à exécution en aussi peu de temps. Si vous souhaitez découvrir toutes les coulisses de ces TGV médicalisés, je vous partage la vidéo ici.

Je salue aussi la mobilisation des équipes d’Intercités pour donner 3150 couettes des trains de nuit au SAMU de Paris pour les sans-abris. SNCF a aussi ouvert ses foyers pour accueillir des femmes sans abris et accordé la gratuité des transports aux soignants. Enfin, la SNCF via sa filiale FRET a assuré le transport de denrées alimentaires essentielles pendant cette période.


Au-delà de la SNCF, nombre d’entreprises ont démontré une très grande solidarité. Quels sont les exemples qui vous ont le plus touchée ?

Ce qui m’a le plus touchée c’est de voir cet élan de solidarité et de générosité dans de nombreuses entreprises mais aussi à titre individuel, en tant que citoyen. À la sortie de cette crise, on pourra se féliciter d’avoir été respectueux des règles et proactif pour aider. On est souvent très critique envers notre société et on oublie de se féliciter quand cela le mérite.

Il y a évidemment des initiatives qui m’ont personnellement très touchée comme celle de la Poste qui a mis en place une plateforme pour que les professeurs y déposent les devoirs des élèves non équipés en PC et déconnectés numériquement. La Poste les imprime et leur livre. Cela aura sûrement permis de sauver du décrochage scolaire de nombreux enfants. Or, dans les milieux défavorisés, l’école est leur seul chemin pour tendre vers une vie plus douce.

Aussi, j’ai été bluffée par des entreprises qui, en temps normal, aurait sûrement mis des mois pour effectuer ces pivots stratégiques et qui, dans l’urgence, ont su réagir et avoir un impact positif localement. Je pense à Auchan par exemple qui a lancé un appel dès la fermeture des marchés, souvent seuls débouchés pour les producteurs locaux, pour leur permettre d’écouler leurs marchandises au sein de leurs magasins. Cette idée de MarketPlace physique et digitale de producteurs a été mise en œuvre avec un mail et un numéro de téléphone à la manière d’une start-up !

Enfin, le challenge lancé par le musée Getty pour recréer des tableaux de maître avec des bricoles depuis chez soi a une fois de plus permis de montrer la force créative de l’Homme.


Bien que les employeurs poursuivent autant que possible le télétravail, beaucoup de salariés sont contraints de prendre les transports en commun chaque jour. Comment la SNCF va-t-elle contribuer à faire respecter les mesures de distanciations ?

Depuis plusieurs semaines, la SNCF prépare la reprise qui est un grand défi puisque par définition, notre métier est de déplacer un maximum de personnes via un mobile fermé ! Il y a une préparation propre au réseau et aux trains pour lesquels de nombreuses opérations de maintenance et de contrôle ont été réalisées en amont afin d’être prêt le Jour-J.

Pour les voyageurs, cette reprise se construit de concert avec le gouvernement, les autorités organisatrices du transport et les associations de voyageurs. Nous avons revu et augmenté toutes les opérations de nettoyage, installé des marquages dans les gares et à bord pour symboliser la distanciation spatiale. Ainsi, plus de 2 000 personnes sont mobilisées pour cela. En gare, comme dans les trains, nettoyés à minima une fois par jour, les équipes prêtent une attention particulière aux surfaces de contact, traitées avec des produits virucides actifs plusieurs heures.

La SNCF permet aussi à chaque voyageur d’anticiper ses déplacements grâce à la publication de l’état de circulation la veille à 17h, la mise à disposition sur l’Appli SNCF du niveau d’affluence dans les trains. Elle répond aussi aux questions posées par les clients en temps réel sur Twitter @SNCF.

Mais ce déconfinement est aussi une responsabilité individuelle : chaque patron d’entreprise doit inciter au télétravail autant que faire se peut et doit permettre aux salariés qui doivent nécessairement se déplacer de moduler leurs horaires du matin et du soir pour éviter tout pic de fréquentation. Et enfin, le masque est obligatoire pour rentrer dans une gare et un train ; c’est la responsabilité de chacun de se protéger et de protéger les autres !


Selon vous, à quoi vont ressembler les mobilités dans l’après-crise ? Quel sera la place du ferroviaire ? Quelles sont les opportunités pour la SNCF ?

À la sortie de la crise sanitaire, les transports de masse (train, avion) mais aussi les nouvelles mobilités tels que le covoiturage ou les cars vont reprendre doucement pour deux raisons : la première est que l’offre va évoluer en fonction de l’état sanitaire du pays. La deuxième est que les clients reviendront si nous leur assurons un voyage en toute sécurité sur le plan sanitaire. Et cet enjeu est primordial pour éviter que les Français prennent leur voiture personnelle. En effet, lors du déconfinement en Chine, deux grands phénomènes ont été constatés : les Chinois se sont précipités dans les gares pour majoritairement aller rendre visite à leur famille et dans leur voiture pour retourner au travail. La SNCF et toutes les entreprises de transport mettent tout en œuvre pour lutter contre ce phénomène d’autosolisme (le fait de prendre seul sa voiture) et le retour de la pollution et de la congestion en ville par la même occasion. Imaginez que le RER A à Paris transporte plus d’un million de franciliens par jour. Si chacun prenait sa voiture, il faudrait construire sur le même axe une autoroute de 2 x 14 voies : vous comprenez pourquoi redonner confiance dans les transports en commun est primordial !

Généralement, après une crise, les tendances qui émergeaient avant, s’accélèrent après. Des mobilités douces telles que le vélo vont devenir plus qu’une alternative. On pouvait aussi voir apparaître avant la crise des mouvements de « slow life » qui prônaient une décélération de la vie pour mieux savourer chaque moment vécu. Or, le confinement nous a appris à vivre sans courir dans tous les sens tous les jours et à apprécier notre quotidien réduit au strict nécessaire. Est-ce que notre rapport au temps va réellement changer ? Est-ce que cette tendance va devenir un nouveau « life style » ? L’avenir nous le dira ! 

Quoi qu’il en soit, je suis convaincue qu’à moyen terme, de multiples opportunités se présenteront à la SNCF. Tout d’abord, la SNCF est un service d’intérêt général. Nous l’avons encore prouvé pendant cette crise. Cette dimension d’utilité pour la communauté va prendre encore plus d’importance dans les années à venir : j’ai la conviction que les clients feront le choix d’acheter chez des marques qui contribuent positivement dans la société et qui font preuve de responsabilité envers leurs employés notamment en situation de crise. Aussi, les gens souhaitent de plus en plus avoir un travail qui donne du sens à leur quotidien et c’est encore plus marqué avec les générations Y et Z. Un groupe comme la SNCF offre cette possibilité de se sentir utile tous les jours, d’appartenir à une communauté, celle des cheminots et d’avoir un impact positif sur la vie de la collectivité.

On pourrait imaginer que les Français vont souhaiter prendre leurs vacances en France dans les prochaines années : nous serons au rendez-vous pour les conduire à la découverte de nos beaux territoires. On peut aussi imaginer que certains Français ont expérimenté le télétravail et vont « franchir » le pas de déménager en province. Au lieu de passer en moyenne 1h30 de leur journée dans les transports en Île-de-France, on peut se demander s’ils ne préféreront pas venir à Paris pour 2 ou 3 jours et télé-travailler depuis leur maison avec jardin qui resterait un rêve inaccessible à Paris.

On pourrait aussi penser que le choc de cette crise, a fait prendre conscience aux Français que leur mode de vie « déréglait » l’environnement et qu’il est de la responsabilité de chacun de réduire l’impact de ses activités. Le ferroviaire, tant pour les déplacements de voyageurs et de marchandises, représente une mobilité durable.

Notre tâche est immense face à la crise économique et sociale qui nous attend mais aussi face aux enjeux climatiques. Mais, par notre solidarité et sens du collectif, nous avons prouvé, pendant le confinement, que la « fin du Moi » était possible. Henri Bergson disait « il n’est de futur que celui que l’on crée ». Charge à nous maintenant, de reconstruire, tous ensemble, le monde de demain en réconciliant les enjeux de « la fin du monde » et de « la fin du mois » ! C’est à cette condition que nous réussirons à vivre paisiblement dans une société durable pour tous.


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