Santé mentale des dirigeants : sortir du tabou, bâtir une culture de résilience
Sous pression et souvent seuls face à leurs responsabilités, les dirigeants évoluent dans un environnement où la charge mentale est intense, mais rarement nommée. Alors même qu’ils incarnent la stratégie et la vision de leur organisation, leur propre équilibre psychologique est trop souvent relégué au second plan. Pour combler ce manque, l’Institut Choiseul, avec le soutien du Groupe Baudelet, de Petit Bambou, de la FHP-Psy et de moka.care, a mené une enquête inédite auprès de 670 chefs d’entreprise, mettant en lumière une réalité aussi préoccupante qu’invisible.
Un malaise silencieux mais massif
75 % des dirigeants interrogés déclarent ressentir des symptômes de stress au moins une fois par semaine. Plus inquiétant encore : plus d’un tiers évoquent une surcharge mentale quotidienne, qui déborde fréquemment sur leurs temps de repos. Le phénomène concerne tous les profils, mais il se révèle particulièrement aigu dans les TPE et PME, où les responsabilités stratégiques, opérationnelles et humaines reposent souvent sur une seule personne.
Et ce malgré une conscience bien ancrée de l’enjeu : neuf dirigeants sur dix reconnaissent que leur santé mentale a un impact direct sur la performance de leur entreprise. Pourtant, seuls 36 % ont déjà consulté un professionnel.
Une parole empêchée, un leadership sous tension
Entre l’injonction à l’infaillibilité, la pression de l’exemplarité et l’absence de lieux d’expression, près de deux dirigeants sur trois estiment qu’il est encore tabou de consulter un professionnel de santé mentale. Le soutien, lorsqu’il existe, repose souvent sur le cercle familial ou amical — un appui précieux, mais qui ne suffit pas toujours face à l’intensité des pressions vécues. La culture managériale dominante valorise la maîtrise, masque la fatigue, et tolère mal la vulnérabilité.
Or, comme le rappelle Caroline Poissonnier, Directrice générale du Groupe Baudelet, « Un dirigeant épuisé, physiquement ou moralement, ne peut pas piloter efficacement son entreprise. »
Trois leviers d’action identifiés pour une transformation durable :
Les résultats de l’enquête montrent un paradoxe persistant : la conscience des enjeux progresse, mais les outils concrets restent largement sous-utilisés. Pour remédier à ce décalage, trois niveaux d’action structurants doivent être mobilisés :
- À l’échelle individuelle :
Il s’agit d’abord de lever l’autocensure et d’aider les dirigeants à reconnaître leurs propres signaux d’alerte. Intégrer des temps de récupération réguliers (sommeil, activité physique, déconnexion), ne pas hésiter à solliciter un accompagnement psychologique, et redonner toute sa légitimité à la démarche de soin sont des gestes essentiels. Un dirigeant qui prend soin de sa santé mentale renforce sa lucidité stratégique, sa capacité à déléguer, et sa stabilité émotionnelle dans les moments critiques.
- À l’échelle de l’entreprise :
L’enjeu est d’intégrer pleinement la santé mentale dans la stratégie de gouvernance. Cela passe par la mise en place de dispositifs accessibles et confidentiels (écoute, accompagnement ponctuel, coaching), une répartition plus équilibrée des responsabilités pour éviter l’isolement décisionnel, et une formation des cadres à l’écoute active et à la prévention des signaux faibles. Il s’agit aussi de faire évoluer les représentations du leadership en valorisant des postures plus humaines, capables d’accueillir la vulnérabilité comme une composante normale de l’engagement.
- À l’échelle sociétale :
La santé mentale des dirigeants doit être reconnue comme un enjeu collectif, et non comme une affaire privée. Cela implique de déstigmatiser le sujet dans les discours publics, d’inclure la santé mentale dans les indicateurs RSE, de soutenir les dispositifs de relais (binômes, congés préventifs, mentorat), et de renforcer l’offre de formation à destination des dirigeants, notamment dans les TPE. La reconnaissance de ce sujet au titre de Grande Cause nationale 2025 va dans ce sens : elle doit être le point de départ d’une action durable et soutenue.
Vers un nouveau modèle de leadership
L’objectif de cette étude n’est pas de dresser un tableau alarmiste, mais de mettre en lumière une réalité encore trop peu exprimée. En documentant les signaux faibles et les tensions structurelles, elle vise à outiller les acteurs économiques, publics et associatifs pour agir de manière ciblée et efficace. Car sans dirigeants capables de préserver leur santé mentale dans la durée, il ne peut y avoir d’entreprise pérenne, ni de transformation soutenable.